Dans la pénombre de la nuit,
je sens mon coeur abandonné,
comme arraché, comme maché,
Sans avenir et sans envie.

Mon rire s’est effacé,
Laissant place à l’angoisse,
Ravivant le passé,
Et toutes ses traces,

Ses douleurs, ses murmures,
M’isolant dans la froideur,
Me mettant au pied du mur,
Poursuivi par mes peurs.

Poursuivi par la mort,
Depuis mes premiers pas,
M’aurait-on jeté un sort ?
Peut-être, peut-être pas.

Lorsque le jour me reviendra,
Tout cela ne sera plus,
Toute la vie qui renaîtra,
Me rendra ma joie bien entendu.

One Thought on “De la peur de la nuit

  1. Confronté à la pensée de la lucidité, au reniement permanent, Cioran trouve un sursis dans la voie esthétique. Il reprend clairement le thème de l’illusion vitale (Nietzsche). L’attention au style de son écriture, le goût prononcé pour la prose et les aphorismes deviennent, par exemple, des moteurs assurant sa vitalité. Il s’éloigne des idées, perdant parfois son lecteur, ou plutôt l’obligeant à ne pas tout comprendre. La poésie devient autant un moyen de traduire sa pensée qu’un remède temporaire face à la lucidité. « Elle a — comme la vie — l’excuse de ne rien prouver. »
    Tentative qu’il juge honteuse, trop vivifiante, détestable parfois, Cioran s’y laisse pourtant conduire. Il accepte ce paradoxe de sa pensée, comme d’autres. Lucide, il perçoit aussi l’imposture du nihiliste qui est encore vivant : « Exister équivaut à un acte de foi, à une protestation contre la vérité ». Si Cioran doit survivre aux vérités irrespirables, s’il est donc obligé de croire en quelque chose, il choisit délibérément l’art, l’illusion reine. Pour échapper à la mort et au vide, qu’il entrevoit autour de lui, comme une « porte de secours », il choisit l’écriture. Semblable à la figure moderne de l’artiste maudit, auteur peu lu et presque inconnu de son vivant — malgré l’estime du milieu littéraire — Cioran continuera inlassablement d’écrire. Sa philosophie est une « philosophie du voyeur », car, peut-être, esthétiquement salvatrice, selon la définition de Rossano Pecoraro dans « La filosofia del voyeur. Estasi e Scritura in Emile Cioran ».

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